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Forderung nach Plebiszit in Vilnius, Paris, 29. September 1919

Transkription


 

29 Septembre 1919

2.399

A Son Excellence Monsieur le Président de la Conférence de la Paix

Paris

Monsieur le Président,

Ces temps derniers, les sphères politiques polonaises ont entrepris une propagande intense en faveur de la séparation de Vilna de la Lituanie et de son rattachement à la Pologne, ainsi que pour un règlement de cette question par voie de plébiscite.

Dans la supposition que le Gouvernement polonais a pu entreprendre également des démarches en ce sens auprès de la Conférence de la Paix, nous demandons la liberté d'exposer à ce sujet les considérations suivantes:

1) VILNA est la capitale historique de l'Etat Lituanien, et elle est située dans une région qui, de temps immémorial, fait partie intégrante du domaine ethnographique purement lituanien.

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Tout ce qui s'y trouve actuellement de remarquable est l'oeuvre séculaire des Lituaniens, de leurs rois et de leurs Grands-Dues. L'histoire de la ville de Vilna est l'histoire de la Lituanie et inversement. Sans Vilna, il ne peut être question d'un développement subséquent du peuple et de l'Etat lituaniens.

2) La Ville de Vilna constitue, actuellement, le centre économique, politique et intellectuel du pays, ainsi que le noeud principal des voies de communication. Elle se nourrit des forces vives de peuple lituanien. Pendant la période marquée par le réveil du peuple lituanien à la conscience et à la vie nationales, la presse périodique lituanienne se concentre à Vilna, ainsi que les maisons d'édition, les institutions et sociétés savantes, les associations artistiques, etc... Séparer Vilna de la Lituanie, ce serait porter une atteinte des plus graves au pays et un coup de grâce à la ville elle-même.

3) On ne saurait céder Vilna à la Pologne sans rattacher en même temps à ce pays tout le gouvernement du même nom. Bien mieux le gouvernement de Vilna n'ayant pas de frontière commune avec la Pologneethnographique, on se verrait obligé de rattacher à la Pologne une grande partie du gouvernement de Grodno, et une partie de celui de Minsk. Or, une résolution de ce genre ne saurait être motivée d’aucune manière, car le nombre dos Polonais, estimé,

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dans les statistiques officielles de 1897, à 8,17% pour le gouvernement de Vilna et à 10% pour le gouvernement de Grodno, est, en réalité, beaucoup moins élevé.

4) Au point de vue ethnographique, les Polonais n'ont rien de commun avec Vilna et ses environs. L'élément qui prend ici le nom de Polonais se compose principalement de propriétaire fonciers lituaniens qui ont l'habitude de passer l'hiver dans la capitale lituanienne et dont les origines, en général, ne sont pas slaves mais bien lituaniennes. A cet élément de Vilna, se rattachent également les personnes appartenant aux mêmes milieux et exerçant des professions libérales. Tout le commerce de la ville, ainsi que l'industrie et les banques, (à l’exception d'une seule, fondée dans des buts politiques par les propriétaires fonciers) se trouvent, avec une grande partie des métiers et des professions libérales, entre des mains autres que celles de l'élément polonais ou polonisé.

En ce qui concerne les basses classes, très peu cultivées jusqu'à ce jour, elles sont, dans les campagnes comme dans les villes, d'origine purement lituanienne. Les doutes et les contestations relatifs au caractère ethnographique des habitants du gouvernement de Vilna sont provoqués principalement par les traces qu'ont laissées dans cette province des conditions tout-à-fait particulières et sans précédent dans l'histoire des peuples

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auxquelles fut soumise la population de ce pays.

Après l'annexion de la Lituanie, le Gouvernement russe a maintenu le peuple, durant plus d'un siècle, dans une complète obscurité. La langue nationale était bannie non seulement des écoles, mais même des livres de prières, et son emploi en public était sévèrement prohibé.L'Eglise Catholique, le seul lieu où quelque liberté était laissée à la population de développer ses facultés intellectuelles et morales, se trouvait entre les mains du clergé polonais ou polonisé et des grands propriétaires fonciers qui, grâce à l'ignorance artificiellement entretenue dans le peuple de ces provinces, parvenaient à lui faire confondre le catholicisme avec l'idée d'une confession polonaise.

Le peuple, de la sorte, demeura dans l'état où il se trouvait avant le partage de la Lituanie, avec cette différence que, sous l'influence du sévère régime russe et de la lutte contre le gouvernement moscovite pour la "confession polonaise", la conscience de sa nationalité et de ses origines s'obscurcit. Dans les districts orientaux, une partie de la population remplaça même par un jargon polono-russe sa langue maternelle qui était encore d'un usage courant dans toutes ces contrées il y a quelques décades. Si bien que, dans la partie orientale du gouvernement de Vilna, où l'action civilisatrice de la renaissance nationale n'a pas eu le temps de s'étendre, toute la population, d'origine lituanienne et non slave, ferme aujourd'hui une masse amorphe, susceptible de se transformer en un instrument aveugle entre les mains de

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démagogues habiles à exploiter les sentiments populaires tels que la religion, les intérêts économiques du moment, etc ...

Et comme le commun du peuple, se conformant à une vieille tradition, oppose à l'orthodoxie russe sa religion catholique comme une "confession polonaise" et, se considérant parfois, pour cette raison, comme polonais, défend son soi-disant "polonisme" avec une ardeur religieuse, les Polonais profitent de leur occupation actuelle du pays pour mieux exploiter encore qu'en temps ordinaire cette inconscience de la population lituanienne du Gouvernement de Vilna dans des fins politiques contraires aux intérêts généraux du peuple lituanien renaissant.

Etant donné que, jusqu'à ces derniers temps, la renaissance nationale lituanienne, grâce aux circonstances extérieures, eut à lutter contre mille difficultés et n'a pas pu étendre son influence sur les populations de pure origine lituanienne dont il est question ici, le fait de subordonner leurs destinées nationales à des données fournies par l’expression d’une volonté populaire dans les conditions ci-dessus équivaudrait à une justification des mesures de rigueur et des méthodes démoralisantes employées pendant plus d’un siècle par les ennemis du peuple lituanien.

Une époque relativement récente, celle des commencements de la renaissance nationale, nous fournit aussi dans les contrées des gouvernements de Kovno et de Suvalki de nombreux exemples de

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l'aberration qui, grâce aux conditions politiques néfastes où se trouvait la Lituanie, frappait un certain nombre de Lituaniens et en faisait les adversaires de leur propre patrie. Aujourd'hui, cependant, ceux-ci sont revenus au sentiment de leur nationalité véritable.

Pour ces raisons, la Lituanie ne consentira jamais à se laisser amputer ce ses domaines ethnographiques du Gouvernement de Vilna et considérera un pareil règlement comme une injustice criante envers son peuple frappé de maux si cruels dans sa lutte pour l'existence et la liberté.

5) Le plébiscite, outre les raisons indiquées ci-dessus, ne peut pas être considéré comme une expression exacte de la volonté des populations en question, en raison des conditions anormales créées par les évènements de guerre et par l'occupation polonaise actuelle qui maintient la plus grande partie de la population sous l'impression des pogroms, du boycottage et d'autres persécutions.

Enfin, nous prenons la liberté de joindre à ce pli une copie du rapport de Mr. Rozenbaum, notre Sous-Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères et représentant des intérêts juifs auprès de la Délégation, rapport qui montre clairement de quel immense danger serait accompagné pour les Juifs de Pologne, de Galicie et des pays occupés par les Polonais, un plébiscite à Vilna.

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Veuillez agréer. Monsieur le Président, l'expression de notre considération très distinguée.

Le Président de la Délégation de Lituanie à la Conférence de la Paix.

Le Secrétaire.

 


Info: 

Archivsignatur: Forderung nach Plebiszit in Vilnius, Paris, 29. September 1919, Litauisches Staatsarchiv, LCVA_383_7_10.
Copyright: Verbreitung und Vervielfältigung nur zu wissenschaftlichen Zwecken.
Zitierweise:  Forderung nach Plebiszit in Vilnius, Paris, 29. September 1919, in: Viadrina Center B/Orders in Motion (Hrsg.): "Grenzen, Kriege und Kongresse. Die Neuordnung Ostmitteleuropas aus dem Erbe der Imperien, 1917-1923" - Ausgewählte Projektquellen, bearb. von Thomas Rettig. URL: https://www.borders-in-motion.de/de/forschungsprojekte/dreijaehrig/0_grenzen_kriege_kongresse/projektquellen/forderung-plebiszit-vilnus-1919 (Zugriff am xx-xx-xxxx)